La Protection Civile à la rencontre des étudiants de Bioforce Europe : inspirer les futurs humanitaires
- 7 novembre 2025
- Envoyé par : lmarot
- Catégorie: Actions internationales
Ce lundi 29 septembre, la Protection Civile a eu le plaisir de participer à la rentrée officielle du Centre Bioforce Europe, établissement de référence dans la formation aux métiers de l’humanitaire, situé à Lyon.
À cette occasion, Marc-Antoine Bacot, chef de projet de la coopération internationale et humanitaire de la Protection Civile, chargé de la prospection de projets, de la recherche de financements, de l’élaboration et de la gestion des dossiers, ainsi que de la contractualisation, de l’exécution, du contrôle, de l’audit et de la logistique associée, est intervenu lors de la table ronde intitulée :
« Construire des parcours pluriels :
l’avenir des professionnels de l’humanitaire au service de la société ».
Un contexte mondial en mutation
Dans un contexte marqué par la globalisation des crises, la multiplication des défis humanitaires et la nécessité de renforcer la solidarité, tant au niveau local qu’international, les formes d’engagement en humanitaire changent.
En ouverture de la table ronde, Pierre Micheletti, médecin, universitaire, ancien président de Médecins du Monde et d’Action Contre la Faim, a rappelé :
« Les mécanismes de réponse humanitaire évoluent sans cesse. Les approches d’hier ne correspondent plus aux défis actuels. C’est à la jeunesse engagée dans cette voie d’apporter un regard neuf, notamment sur le métissage des approches dans les sources de financement et en intégrant les outils et innovations à sa disposition.
Néanmoins, l’expérience du terrain demeure essentielle : elle seule permet d’adapter l’aide aux réalités locales et, surtout, aux attentes des communautés concernées. »
Voici donc quelques réflexions nourries par l’expérience de terrain de Marc-Antoine Bacot acquise au cours des trois dernières années dans le cadre des actions internationales de la Protection Civile.
Ces missions visent à soutenir les populations civiles confrontées à une crise, un conflit ou une catastrophe naturelle, en combinant réponse d’urgence et projets de reconstruction durables.
Ces pistes de réflexion restent volontairement synthétiques, car chacun des thèmes évoqués mériterait, à lui seul, un ouvrage entier pour en explorer toutes les dimensions.

La diversité des compétences et des profils
L’action humanitaire mobilise une grande variété de profils et de savoir-faire.
Au-delà des compétences techniques, linguistiques ou de la compréhension des contextes géopolitiques, historiques et religieux, ce sont surtout les compétences transversales qui font la différence sur le terrain.
Capacité d’adaptation, sens de la communication, intelligence émotionnelle, esprit d’équipe, créativité, diplomatie, sensibilité interculturelle, ou encore gestion du stress : autant de qualités qui permettent à l’humanitaire d’agir efficacement dans des environnements instables et multiculturels.
L’art d’être caméléon : tisser des liens au cœur des différences
Être caméléon, c’est peut-être l’une des qualités les plus précieuses sur le terrain.
Dans l’humanitaire, il ne suffit pas d’avoir de bonnes intentions : il faut savoir s’adapter à tous les contextes, à toutes les personnes, parfois radicalement différentes de soi. Sans renier sa personnalité, l’humanitaire apprend à gagner la confiance de chefs locaux, de partenaires institutionnels ou de communautés marquées par la crise, dans une culture qui n’est pas la sienne.
C’est cette capacité d’écoute et d’ouverture qui permet des échanges vrais, des diagnostics justes et des actions réellement utiles.
Quand on se comprend sans traducteur, la distance s’efface : la communication se fait plus vraie, la confiance grandit, et c’est souvent là que naissent les projets qui durent.
En résumé l’art d’être caméléon, c’est la capacité à parler avec la même simplicité et la même justesse à un sinistré qu’à un ministre ; à instaurer une relation d’égal à égal, quelle que soit la situation.
La compréhension interculturelle, un atout essentiel
En période de crise, les marqueurs d’identité se renforcent, les appartenances se crispent, et le terrain d’entente se rétrécit.
Savoir décrypter ces sensibilités, comprendre les codes, les symboles et les émotions qui traversent une communauté, c’est souvent la clé pour rétablir le dialogue et avancer ensemble.
Un exemple parlant : en Asie du Sud-Est, toucher la tête d’un enfant est un geste à éviter. La tête y est considérée comme la partie la plus sacrée du corps, siège de l’âme et de la conscience. Ce geste, pourtant courant dans les cultures occidentales comme marque d’affection, peut ainsi être perçu comme une offense, un manque de respect ou une atteinte spirituelle.
Dans des situations beaucoup plus critiques, comme les prises d’otages, les enlèvements ou les arrestations, la maîtrise des références culturelles constitue un atout essentiel pour établir un dialogue efficace.
L’humilité : le vrai courage de l’humanitaire moderne
L’humanitaire d’aujourd’hui ne tend pas la main pour donner, mais pour bâtir ensemble.
Il ne s’agit plus d’assister, mais de coopérer ; plus d’imposer, mais de co-construire ; plus de sauver, mais de s’unir dans la tourmente.
Aussi, le travail préparatoire est essentiel. La présentation de l’organisation se doit d’être mené avec précision malgré l’urgence. Il s’agit d’établir clairement les intentions de l’organisation afin d’éviter tout amalgame. En effet, les acteurs humanitaires sont nombreux, chacun ayant ses propres motivations et spécificités d’action. Les institutions ou organismes locaux partenaires se retrouvent parfois déconcertés face à cette diversité et à la complexité des engagements. Il est donc indispensable de présenter de manière transparente l’origine des financements ainsi que la nature des relations avec les donateurs et les éventuelles affiliations politiques ou religieuses afin de prévenir toute situation ambiguë ou problématique.
Aussi, s’appuyer sur les autorités, les entreprises, les associations locales, c’est accéder à une compréhension plus fine des besoins, bâtir une réponse juste et durable, et surtout redonner aux populations la place qui leur revient : celle d’acteurs de leur propre reconstruction.
Les premières bases de la collaboration se posent : chercher un intérêt commun, une vision partagée qui réponde vraiment aux attentes locales.
Là, le conseil et le partage d’expériences deviennent essentiels : chacun apporte son regard, son vécu, ses solutions.
C’est un dialogue patient, parfois fragile, qui demande écoute, souplesse et respect mutuel.
Agir sans coordination, sur la base d’une idée préconçue des besoins et sans réelle connaissance du terrain, conduit souvent à l’échec. Pire encore, une intervention mal préparée peut nuire davantage aux populations en crise que l’inaction elle-même.
Illustrons l’importance de l’écoute des besoins exprimés sur le terrain et de la capacité de la Protection Civile à réévaluer les priorités de l’aide humanitaire initialement prévue. En 2022, la Protection Civile a acheminé plusieurs milliers de tonnes de dons humanitaires d’urgence : matériel médical, denrées alimentaires, produits d’hygiène et de couchage vers l’Ukraine afin de répondre aux besoins engendrés par les importants déplacements de population liés à la guerre.
Au milieu de cette mobilisation, une demande inattendue est apparue : l’envoi de croquettes pour chiens. Sur le moment, cette requête a pu sembler secondaire, voire incompréhensible, face à l’ampleur de la crise humanitaire.
Pourtant, en cherchant à en comprendre la raison, une réalité préoccupante est apparue : de nombreux chiens avaient été abandonnés lors des évacuations, étaient devenus errants et, faute de nourriture, se nourrissaient parfois des cadavres laissés sur place. Après cette expérience traumatisante, ces animaux devenaient plus agressifs et représentaient un danger pour les habitants et les équipes de secours.
Dès lors, rassembler les chiens errants et les nourrir dans des abris spécialisés s’est révélé être une mesure essentielle pour la sécurité des populations. L’envoi de croquettes pour chiens, loin d’être anecdotique, constituait donc une réponse de crise pleinement justifiée et cohérente avec la mission de protection des populations civiles.
Le respect du droit local, un rempart contre l’ingérence
La maîtrise et le respect du droit local constituent des exigences fondamentales pour toute intervention humanitaire. Des initiatives, même animées des meilleures intentions, peuvent échouer si elles ne tiennent pas compte de ce cadre juridique. Dans certains cas, elles peuvent entraîner des conséquences graves : arrestations, condamnations, tensions ou crises diplomatiques, voire la suspension de programmes humanitaires dans la région.
En définitive, ce sont les populations sinistrées ou bénéficiaires qui pâtissent les premières de telles situations. Il est donc essentiel d’adopter une approche empreinte d’humilité, fondée sur l’adaptation des actions humanitaires aux réalités juridiques locales, plutôt que sur une posture de « héros humaniste » ou de « cowboy humanitaire » guidée par une vision unilatérale descendante empreinte du « syndrome du sauveur ».
Par exemple, dans certains pays, les diplômes de médecins français ne sont pas reconnus. Si des dérogations existent, elles supposent d’abord des autorisations officielles. Or, même face à la détresse et à l’urgence, dépêcher des urgentistes sans accord officiel reviendrait à enfreindre le droit local et à pratiquer illégalement la médecine.
La frustration de ne pas pouvoir intervenir faute d’autorisation officielle ne doit pas pousser à des actions improvisées ou menées dans la précipitation, simplement pour avoir le sentiment d’agir. Dans un contexte de crise, la raison doit rester maîtresse. Mieux vaut repenser l’approche de l’aide, quitte à différer l’intervention, pour participer plus tard à la phase de reconstruction ou à des projets de soutien durable aux populations.
La responsabilité morale et éthique des organisations humanitaires s’étend également aux répercussions indirectes qu’une préparation insuffisante ou précipitée peut avoir sur les autres acteurs humanitaires présents sur le terrain, et, par extension, sur les bénéficiaires eux-mêmes.
Penser tout de suite l’après : quand l’aide s’efface pour laisser place à l’autonomie
Avant de bâtir un projet humanitaire, il faut déjà en imaginer l’après.
Non pas seulement la fin des opérations, mais ce moment où l’aide s’efface pour laisser place à l’autonomie.
Quelle équipe assurera la succession ? De quelle manière le projet pourra-t-il perdurer, se financer durablement et poursuivre sa croissance sans notre implication directe ?
Prenons une scène du quotidien humanitaire.
Un appareil médical arrive d’Europe, destiné à un hôpital local en manque d’équipement. Sur le papier, tout semble parfait : le besoin est réel, le matériel est prêt, l’intention est bonne.
Mais sur le terrain, les questions s’enchaînent : l’appareil est-il compatible avec le réseau électrique local ? Est-il homologué par les autorités du pays ? Les consommables nécessaires à son utilisation sont-ils disponibles sur place ? La maintenance pourra-t-elle être assurée localement ?
Et surtout, les médecins et le personnel hospitalier savent-ils l’utiliser ?
S’ils doivent apprendre, qui les forme, et comment transmettre ensuite ce savoir aux autres ?
Sinon, il risque de devenir un don inutile, immobilisé dans un coin d’hôpital ; symbole d’un élan généreux, mais mal enraciné dans la réalité du terrain.
Penser le long terme, c’est accepter que l’efficacité d’une action ne se mesure pas à son intensité, mais à ce qu’elle laisse derrière elle : des compétences, des structures, des forces locales capables de poursuivre le chemin. Sans cette vision, l’aide devient mirage, un feu de paille qui éclaire un instant, puis s’éteint, ne laissant que la fatigue et la déception de ceux qui y avaient cru.
Le défi écologique au cœur de la réponse humanitaire
La prise en compte de l’impact écologique n’est plus une option, même au cœur de l’urgence.
Dans la réponse humanitaire, et plus encore dans la logistique, chaque action a une empreinte. Mais concilier rapidité d’intervention et respect de l’environnement reste un défi immense : il s’agit de sauver des vies aujourd’hui sans compromettre celles de demain.
En 2022, avec le soutien de la SNCF, la Protection Civile a conduit une opération innovante visant à mettre en œuvre les premiers trains humanitaires français à destination de l’Ukraine, sous le nom de code « Mission Barza ».
Cette initiative, présentant un impact environnemental nettement inférieur à celui du transport routier, a démontré une grande efficacité logistique en matière de volumes acheminés.
Néanmoins, la mobilisation d’un grand nombre d’acteurs ferroviaires européens ainsi que la nécessité d’organiser des transbordements à la frontière, liée à la différence d’écartement des voies entre les réseaux ferroviaires européens et ukrainiens, ont révélé certaines limites opérationnelles. En particulier, le délai global d’acheminement s’est avéré plus long que celui observé pour le transport par voie routière.
Se pose également la question de l’envoi de matériel ou de dons de seconde main. Peut-on réellement le faire, et jusqu’à quel point cela reste utile ? Il faut veiller à ce que cette aide, bien intentionnée, ne se transforme pas en cadeau empoisonné.
En effet, l’envoi de dons inadaptés ou inutilisables peut avoir des conséquences lourdes : accumulation sur les lieux de transit, surcharge des entrepôts, ralentissement de la logistique pour les dons réellement urgents, production de déchets et pollution supplémentaire. Ces envois alourdissent inutilement le bilan carbone des opérations et génèrent des coûts financiers évitables, détournant des ressources précieuses de l’aide réellement efficace.
Aussi, dans ce cas de figure, un tri strict en respectant un cahier des charges de qualité bien défini est indispensable avant tout envoi.
Certains compromis demeurent inévitables, mais ils doivent être pensés, mesurés, assumés.
Car agir vite ne dispense pas d’agir juste : l’efficacité ne peut plus se concevoir sans responsabilité.
Témoins du réel : la part d’humanité et de risque
Le rôle de l’humanitaire est aussi d’être le témoin de réalités souvent éprouvantes. Il doit prendre le temps d’écouter, d’observer et de ressentir pour appréhender pleinement la complexité du terrain que les récits simplifiés transmis au grand public peinent souvent à restituer.
Dans cette démarche, la compassion est une qualité essentielle : elle permet de saisir la dimension humaine d’une crise ou d’une catastrophe. Mais elle doit s’exercer avec mesure. Car céder à une empathie excessive, voire à la pitié, conduit à une réaction trop émotionnelle qui peut altérer la capacité d’analyse stratégique et opérationnelle indispensable à la réussite de la mission.
Dès lors, une question délicate émerge : les médias et la prise de parole publique sont-ils des vecteurs indispensables de sensibilisation ou des sources potentielles de vulnérabilité pour l’action humanitaire ?
L’information occupe une place à part dans l’action humanitaire. Elle éclaire les drames, raconte les crises, donne à voir les gestes de solidarité et le sens de l’engagement sur le terrain. Mais elle n’est jamais neutre. Chaque mot, chaque image peut avoir un écho bien au-delà de l’intention initiale.
Dans certains contextes, révéler une situation ou pointer un dysfonctionnement peut être perçu comme une accusation. Ce qui, ailleurs, relèverait du témoignage légitime peut ici mettre en cause la légitimité d’une autorité, d’une institution ou d’une culture. En voulant dénoncer, on peut involontairement humilier ; et dans certains cas, cela suffit à compromettre la présence même de la mission humanitaire voire l’expulsion de l’organisation.
Avec la démocratisation des smartphones et l’accès généralisé à Internet, une nouvelle dimension s’impose : celle d’une communication instantanée, mondiale et multicanale, notamment à travers les réseaux sociaux.
Cette hyperconnectivité individuelle s’accompagne souvent de prises de position subjectives sur certaines actions humanitaires, exprimées par des commentaires, des images ou des mises en scène pouvant parfois fragiliser une initiative d’aide, sur fond de jalousie, de méfiance ou d’incompréhension.
L’intelligence artificielle peut, elle aussi, jouer un rôle dans ces dynamiques, en facilitant la diffusion de fausses informations grâce à des contenus visuellement réalistes et des argumentations d’apparence logique et convaincante.
Enfin, la géolocalisation en temps réel représente un risque supplémentaire : elle peut compromettre directement la sécurité des équipes humanitaires et des bénéficiaires, notamment dans les zones de conflit.
S’engager dans l’humanitaire, c’est accepter une implication totale. Les crises ne préviennent pas : elles surgissent la nuit, le week-end ou les jours de fête. Les missions s’étirent parfois sans horizon de retour, dans des conditions précaires, avec des moyens limités et un confort souvent inexistant.
C’est aussi d’accepter faire face au risque, parfois jusqu’à mettre sa vie en danger, au nom de la solidarité, du devoir et de l’engagement envers les autres.
S’engager dans l’humanitaire, c’est vivre dans une remise en question permanente : réévaluer ses stratégies, s’adapter à des contextes mouvants, accepter l’incertitude, reconnaître l’échec et en tirer des leçons. C’est garder la lucidité nécessaire pour mesurer ses capacités, construire ensemble, et viser le résultat sans jamais perdre de vue le principe de réalité.
Mais au-delà de cette complexité, l’humanitaire reste une aventure profondément humaine, portée par la passion : le défi permanent de chaque nouveau projet, la découverte du monde dans sa diversité, la collaboration interculturelle, les rencontres intellectuelles et humaines, souvent dans des contextes extrêmes, d’où naissent des liens indéfectibles. C’est aussi vivre l’actualité, avoir la satisfaction de voir les projets aboutir, d’en mesurer l’impact sur les populations et d’assister, parfois, à un véritable renouveau.
Car au fond, l’humanitaire transforme tel un catalyseur de maturité. Il y a toujours un avant, et un après.
