15 ans après le séisme en Haïti, retour sur la mission « Les charpentiers de l’espoir » de la Protection Civile
- 6 février 2025
- Envoyé par : lmarot
- Catégorie: Actions internationales

Le 12 janvier 2010 à 16h53 heure locale, un séisme magnitude 7 frappe Haïti. Des destructions massives dans les zones les plus peuplées du pays, dont Port-au-Prince, Léogâne et Jacmel, sont recensées. Environ 230 000 personnes ont perdu la vie, plus de 300 000 autres ont été blessées et 1,5 million de sinistrés se sont retrouvés sans domicile.
La Protection Civile française a dépêché du personnel médical sur place immédiatement et a monté une mission pour la réhabilitation urgente de l’orphelinat Notre Dame de la Nativité à Fontamara. Dans la catastrophe, l’orphelinat a perdu 52 de ses pensionnaires.
Retour sur la mission des 15 « Charpentiers de l’espoir » venant des quatre coins de l’Hexagone, dans les yeux du chef de mission, Alain Lascombes :
Port-au-Prince, le 6 février 2010
« Au petit matin, nous sommes revenus sur le tarmac, rejoindre l’équipe qui avait réceptionné le fret. Sur le trajet de l’orphelinat, nous avons pris la mesure de la catastrophe. Tous les bâtiments sont détruits sauf quelques-uns en bois. Ils se sont effondrés en mille-feuille ou ont basculé les uns sur les autres, comme un jeu de dominos. Les gravats n’ont été ôtés que dans de rares endroits. Des parpaings en béton matérialisent sur les chaussées l’espace que chaque famille ou groupe de famille s’est attribué, ne voulant plus rester dans leur maison en ruine. Les fils électriques pendent çà et là, sans être protégés. Des canalisations d’eau sont détruites, le liquide se répandant à travers les gravats et les immondices, les caniveaux et canaux obstrués par les tas d’ordures ou des pans de mur couchés au sol.
Les ordures sont en tas, le long des trottoirs, disposés dans tous les trous disponibles, creux de chaussée, collecteurs d’évacuation des eaux de pluie, ruisseaux naturels ou creusés…
Se dégagent des odeurs nauséabondes qui se mêlent à celles des cadavres encore enfouis sous des immeubles détruits. À cela s’ajoutent l’odeur du plastique brûlé, seul moyen pour réduire les tas d’ordures, et celle des gaz d’échappement des véhicules très vétustes et toujours en circulation.
Nous tentons de nous frayer un passage à vitesse réduite dans cette nuée de piétons et de voitures taxis bondés jouant du klaxon, allure qui nous permet d’évaluer vraiment les conséquences de la catastrophe. Sur les collines où s’entassent les baraquements de tôle et toile qui ne paraissaient pas touchés, nous constatons alors qu’ils sont en fait tombés les uns sur les autres. Ces bidonvilles ne constituent plus qu’un amas de pierres planches, tôles et parpaings qui ont glissé du sommet des collines, obstruant les petites rues et les venelles.
Enfin, nous arrivons à l’orphelinat, en traversant une partie du quartier de Fontamara. Le long du trajet, la population installée sous des bâches de récupération nous fait des signes d’amitiés. Certaines personnes applaudissent, d’autres dressent leurs pouces en l’air. Ils semblent visiblement satisfaits de voir du monde qui vient enfin leur porter assistance. La porte nous est ouverte par une jeune fille de 14 ans, gardienne des clés. Nous apprendrons plus tard qu’elle fut ensevelie pendant toute une nuit avec l’une de ses camarades, avant d’être secourues.
Nous découvrons sur 20 m2 de gazon brûlé par le soleil une soixantaine d’enfants assis en tailleur, les uns contre les autres, totalement silencieux, comme prostrés. Ils portent un haut de vêtement avec une couche pour les plus jeunes, ou un short plus les plus grands. Ils ont entre 18 mois et 7 ans. Les nez coulent, les bouches sont entourées de mouches, les couches fuient.
Nous nous répartissons les tâches élémentaires :
- Reconnaissance des lieux pour sécurisation et projet de travaux, par les charpentiers et logisticiens,
- Reconnaissance pour une évaluation sanitaire par l’infirmier,
- Installation du campement pour se nourrir, se laver, dormir par les logisticiens,
- Achat des matériaux nécessaires pour cette construction par un autre groupe de charpentiers.
Après ces tâches préliminaires, nous décidons des travaux suivants :
- Sécurisation du bâtiment de l’intendant qui menace de s’écrouler dans une partie proche des enfants,
- Réfection de la clôture qui menace de tomber sur le lieu de regroupement des enfants,
- Réhabilitation de la cuisine, les repas des enfants se faisant à même le sol,
- Redistribution de l’eau (un seul robinet à notre arrivée),
- Création d’une douche,
- Création d’un lieu d’étendage, les jeunes enfants nécessitant de gros lavages journaliers et le taux d’humidité empêchant un séchage rapide,
- Création d’un dortoir.
Le soir, avant la tombée de la nuit, nos charpentiers ont réussi leur pari, une première ferme est bien élevée. Après cette première journée très laborieuse, nous nous sommes endormis rapidement, enfin installés dans nos lits Picots. La nuit nous réserva bien des surprises : les coqs, qui ont trouvé refuge dans les arbres, chantent toute la nuit. Ce ne sont pas les seuls à chanter. Depuis tous les îlots du quartier s’élève de la musique caribéenne entrecoupée par les prêches de prédicateurs de toutes les églises existantes à Haïti.
Enfin les moustiques, certainement attirés par notre peau tendre d’européens, ont fait bonne chère. Le lendemain, boutonneux, fatigués, courbaturés, après un bon petit déjeuner, nous attaquons plein d’entrain les travaux prévus.
Le dortoir a été construit en quatre jours, toit, murs et plancher. Notre objectif était d’y installer tous les enfants avant que la pluie annoncée fasse son apparition. La cuisine et la douche furent montée en un jour. Lors de la petite cérémonie de réception du bâtiment, nous avons pu exprimer notre plaisir d’offrir au nom de la Protection Civile ces modestes travaux. Les enfants, pour nous remercier, chantèrent quelques mélodies enfantines et des chants créoles, pour finir par des prières. Nous avons arraché quelques sourires en installant une balançoire et un tourniquet, récupérés dans les gravats et en confectionnant des avions en papier. Le moment de l’installation du dortoir a été leur grand moment de bonheur. Les enfants se sentaient protégés et ne ménageaient pas les cris de joie et les demandes de câlins.
De manière générale, lors de catastrophes comme en Haïti, l’hygiène est rapidement un gros problème. Ici, les destructions totales et massives n’ont pas permis d’évacuer la totalité des victimes. Aussi la décomposition des corps favorise la vermine et les épidémies. Par ailleurs, les animaux nuisibles s’installent près de ces sources d’approvisionnement. Les insectes, notamment les mouches, se fixent massivement sur les ouvertures d’où émanent des odeurs caractéristiques. Il était donc absolument nécessaire de nous protéger et nous avons dû traiter à l’insecticide les ruines pour faciliter le travail des ouvriers qui évacuent, à la main, les gravats après les avoir réduits à la masse. Nous avons traité également les abords du camp pour chasser, ou du moins pour limiter, la présence des insectes. Ces opérations ont été reproduites plusieurs fois, seules méthodes pour assurer des conditions d’hygiène minimales.
Avant de repartir, alors que nous nous trouvions dans le bidonville, nous avons rencontré une famille ayant tout perdu. Le bébé était posé sur le sol. Pris de pitié pour cet enfant, nos charpentiers ont conçu rapidement avec les chutes de bois qui restaient, un berceau. »
Les bénévoles de la Protection Civile ont pu après une mission de 15 jours mettre à l’abri la centaine d’orphelins sinistrés. Les années d’après, la Protection Civile a poursuivi ses actions à Haïti en formant 2 000 personnes aux gestes de premiers secours en 2011, 2012 et 2014.